On nous répète depuis des décennies que ça va arriver.
On a multiplié les recherches, les documentaires, les fictions d’anticipation, concernant notre autodestruction. On le sait, ce n’est plus possible de continuer ainsi. Et pourtant, rien ne bouge.
Ou plus exactement, ça empire : plus de production, plus de pollution, plus de croissance économique, plus de mondialisation.
On salit, on détruit.
Et maintenant, on s’étonne ?
Paradoxalement, ce qui nous arrive aujourd’hui ne nous surprend pas vraiment. Nous savions une crise inéluctable ; seules les modalités de sa mise en œuvre restaient incertaines. Pourtant, on a du mal à y croire. On répète tous « On vit une drôle d’époque… », « On se croirait dans un film », « Un mois enfermé, je vais péter un boulon», « Ça y est, ça nous tombe dessus. ».
Il était temps.
Je suis désolée, je suis sincèrement désolée, pour les gens qui vont en souffrir ou en mourir. J’en ferai peut-être partie, et vous aussi.
Mais ce virus n’est pas le fruit du hasard, ou d’un Trump qui, avançant masqué, injecta vilement un venin contagieux dans l’aorte d’un sexagénaire chinois. Ce poison, ça fait des années qu’ils le développent, le président américain et tous ceux de sa caste. C’est à la fois une conséquence logique à une succession de choix destructeurs, et la cause d’une dégringolade économique fulgurante.
Ce que Greta n’a pas réussi, un virus invisible le réalise. Vous ne voulez pas comprendre, bande de dégénérés, vous ne pouvez pas vous comporter différemment, c’est plus fort que vous ? Ma foi, la nature va se charger de vous expliquer.
J’ai lu récemment un bouquin de vulgarisation scientifique sur le pouvoir des plantes. Pouvoir au sens propre, comme celui accordé à – ou chapardé par – Macron. J’y ai appris toutes sortes de choses incroyables. Dont un fait ahurissant : victimes de notre surproduction, de la monoculture, de la destruction d’une nature florissante et harmonieuse, les pommes de terre ont muté. La plupart des végétaux évoluent, pour tuer ou rendre stériles leurs principaux prédateurs. Les pommes de terre ont décidé de développer des hormones féminines, de la progestérone, à un dosage proche de celui de la pilule contraceptive. Diminuer les naissances des prédateurs pour assurer sa survie. Information rapidement classée secret défense par les autorités sanitaires, que vous pouvez vérifier dans le livre Les émotions cachées des plantes de Didier Van Cauwelaert.
Les pommes de terre sont loin d’être les seuls êtres vivants acculés par notre bêtise, et à avoir décidés qu’il était temps de stopper la machine.
Ce n’est que le début. Premier confinement, qui va accroître les divorces, les décès, les démences. Mais ce ne sont que les prémisses. Je ne vais pas ici rabâcher le désastre de la fonte des glaces, du réchauffement climatique, des futures terres englouties, des millions de réfugiés climatiques à venir, de la crise économique déjà enclenchée.
Pourquoi les rayons sont-ils dévalisés ?
Effroi de la population, vulnérabilité du monde. La peur parle. On ne peut plus faire confiance à une quelconque instance supérieure, et on le sait. On se prend dans la gueule ce qu’on nous répète depuis des années. L’effondrement sonne à notre porte, il est prêt à s’attaquer aux murs. Cédons à la panique, et nous l’accueillerons sous notre toit. Donnons une place au déni, il pourra ronger les poutres avec notre consentement.
Alors, si ce n’est courber l’échine, que pouvons-nous faire ?
Cueillir le fruit.
Pour la première fois depuis ma naissance, je suis enfermée sans aucune obligation de présentéisme ou de productivité. Inédit, pour nous tous ! L’unique chose à faire : réfléchir. Remettre les choses en question, s’émanciper, s’égarer, s’éclairer. Si ce qui nous arrive n’est pas un accident, il s’agit de l’intégrer et d’en tirer, si ce n’est profit, au moins des conclusions bénéfiques à long terme.
Nous avons (encore) le choix : utiliser cette bulle de confinement comme une parenthèse ténébreuse à même de tester les limites de notre santé mentale, de mettre au défi nos relations sociales, de nous faire douter de tout, et surtout de nous, dans un climat de peur limitant nos capacités d’analyse. Dans l’attente angoissante d’un retour à la normal, de retrouver nos anciennes activités, nos habitudes, nos certitudes, en espérant in fine qu’un jour prochain la vie sera un copié-collé du passé. Comme si de rien n’était. Ou on utilise ce temps pour s’informer, apprendre, essayer de comprendre. Cette fois, plus l’excuse du « j’ai pas le temps ». On en a pléthore, dorénavant. Alors saisissons-nous de cette durée indéfinie pour repenser notre quotidien, notre docile soumission, notre existence, notre survie. C’est de ça dont il s’agit aujourd’hui. Lorsque cette première crise sera dépassée, ne reprenons pas notre vie précédente. Redéfinissons nos actions autour de quelques axes essentiels : se rendre utile, diminuer notre consommation, notre pollution, notre asservissement économique et politique. Optons pour une approche plus locale, plus humaine, ancrée dans le réel à portée de main. Oui, c’est un changement radical, brutal, tonitruant. Mais nous sommes capables d’une telle adaptation. L’effondrement, c’est aussi la renaissance. Si nous ne voyons pas les choses de cet œil, c’est peut- être que notre regard se porte bien souvent vers notre nombril. Le principe même de la vie, c’est l’évolution, et donc les transformations fondamentales.
Ce virus, s’il ne nous détruit pas, pourrait bien être en train de nous sauver. Nous empêchant de parachever l’entreprise d’exploitation totale, intensive, exhaustive, d’une Terre à l’agonie sous notre hégémonie. Ce virus s’égosille « Arrêtez tout, ou mes potes débarqueront, et ils seront bien plus véhéments que moi ». Il nous prévient. Il nous oblige à ouvrir les yeux. Il est cet ancêtre biologique minuscule mais increvable, changeant, malicieux, ce David microscopique prêt à défier le Goliath humain. Il retourne aujourd’hui les armes que nous pointions hier sur lui avec fatuité et excès de confiance. Et il nous fout la kalache sur la tempe. Les humains ne voient que ce qui les atteint personnellement ? Dépité, il s’est adapté, avec la complicité de notre folie des grandeurs. Pour qu’on l’écoute, enfin. En ce moment, il appuie sur la détente à notre place. Car contrairement à l’humanité, il appréhende le monde sur le long terme. Invisible, implacable, il désamorce la bombe, déstabilise profondément un système dont nous avons insidieusement enténébré le bouton « off ».
L’organisation mondialisée de nos sociétés n’est pas prévue pour affronter le moindre grain de sable dans ses rouages : si un seul de ses nombreux éléments vient à dérailler, il engendre une déflagration universelle, impactant toute la chaîne. Savez-vous que les poches plastiques utilisées dans les hôpitaux ne sont fabriquées qu’à un endroit sur Terre, puis redistribuées sur toute la surface du globe ? Ceci n’est qu’un exemple parmi les innombrables choix organisationnels ayant été faits dans l’unique but de générer un maximum de profits en un temps record, en dépit du bon sens, du long terme et de toute considération pour le bien commun.
Cette mondialisation ne détruit pas uniquement la nature, elle s’attaque aussi aux tréfonds de notre âme. Globalisation et égo sont en plein grabuge : nous avons, plus que jamais, conscience de nous- mêmes. Nous pouvons capturer notre image, notre écho, notre corps en mouvement, des centaines de fois par jour, si nous le désirons. Puis partager cette bribe d’authenticité, ou ce reflet artificiel, sur de multiples plateformes. Attendre retours et approbations. Nourrir les regards distanciés et diversifiés vis-à-vis de notre individualité. Exulter de voir les pouces se lever, alimentant cette culture du moi. Nous n’avons pas pour autant une meilleure connaissance de nos besoins.
Dichotomique, schizophrène, la mondialisation nous inonde de messages antinomiques : d’une part, « je sais ce qui est bon pour vous, ayez confiance, le bonheur est à portée de main, juste là, vous n’avez qu’à me suivre ». D’une autre, « vous êtes et demeurerez d’insignifiantes fourmis, même si vous tentez, à votre petite échelle, de contribuer à une entreprise quelconque. Vos actions individuelles sont vaines, je fais autorité en toute société ». Le système est un ogre ventripotent et dégingandé qui marmotte à notre oreille que nous ne pouvons pas lutter, qu’il nous engloutira tous. Alors, ne serait- ce pas le moment de le dévorer à notre tour ? Monstre de la mondialisation, va bien te faire amputer ! Nous reprenons nos droits et nous assumons nos devoirs.
Saisissons-nous de cet instant, aussi, pour remettre de l’ordre dans ce qui importe vraiment : non, une application pour savoir où en est ma compote dans son processus de fabrication n’est pas essentielle. En revanche, permettre au personnel hospitalier et aux enseignants d’exercer dans des conditions décentes, aux agriculteurs de se dégager un salaire à la fin du mois, aux ouvriers de survivre, ou mieux, de vivre, et aux personnes âgées de ne pas finir leurs vies dans l’insalubrité et la maltraitance, c’est primordial, central, indispensable.
Ce virus est le surgeon d’une succession d’actions. Macron, Trump, Bolsonaro, Poutine et comparses n’en sont pas les seuls coupables. Mais eux, et tous leurs prédécesseurs sont responsables. Il ne s’agit pas d’une météorite tombée du ciel, il s’agit d’une situation causée par une succession de choix délibérés. Les politiciens ont beau s’autoproclamer sauveurs aujourd’hui, si nous les acclamons, c’est uniquement la marque de notre syndrome de Stockholm. Notre acrimonie est fondée, et il s’agirait maintenant de lui offrir des modalités d’expression constructives, pour enfin refuser ce confortable statut d’esclave moderne à l’ego hypertrophié. C’est un choix altruiste que de se délier de ses chaînes et ne plus accepter comme unique proposition l’individualité, comme seul horizon une juxtaposition d’instantanés lisses et artificiels. Il y a tant d’autres chemins. Et il est grand temps de les arpenter, ensemble.
Avec le confinement, nous sommes enfermés chez nous, seuls. Nous vivons au ralenti, et l’évidence nous rattrape. Enfin, nous ne pouvons plus fuir, nous cacher derrière un quotidien rythmé d’activités variées nous évitant de penser. Enfin, la confrontation de nos désirs profonds avec la réalité de nos trajectoires personnelles s’impose à nous. Après un premier instant d’hébétement, il apparaît évident que cela pourrait être l’occasion de reprendre le contrôle sur nos vies, le droit de choisir, de réfléchir, de repenser un système à bout de souffle. Nous pouvons, comme notre cher gouvernement, continuer de jongler avec la patate chaude au jour le jour ; où nous pouvons la manger, puis en cultiver une autre, un champ entier, dans le respect de ce que la nature peut réellement nous donner. Ni plus, ni moins. A l’équilibre.
Alors, pilule bleue ou pilule rouge ?
L’examen a déjà commencé, il n’est pas noté, il a lieu sur participation volontaire, mais il est crucial. Vous disposez d’une quarantaine de jours. Bonne chance à toutes et à tous.